Éducatrice spécialisée HES-SO, coach membre de SECA, enseignante, auteure, peintre

11. L'aimes-tu ?

Mes études me conduisaient vers un métier où on aide ceux qui vont mal. J’avais un appel très fort dans mon cœur pour ceux qui souffrent. Pendant mes études, j’ai vu combien c’était juste et bien ma place de faire ce métier. Mais parfois, le monstre pointait son nez… Je jonglais entre une grande attention pour les autres et des nuits blanches à faire la fête, des heures à apprendre et des heures à boire avec des potes en refaisant le monde, un amour pour les blessés et des images terrifiantes en moi, un sentiment d’être utile et des élans de violence. Je voyais des couples se former et je me posais des questions. Je ne tombais pas amoureuse, même de jeunes hommes avec qui je m’entendais très bien. Je me sentais un peu à part, différente. Ma vie avançait en cahotant et j’en avais pris mon parti.
 
Je vis en colocation avec Jeanne. qui est aussi étudiante à Lausanne. Ce soir, nous mangeons avec Siméon, son ami, chez un de leurs copains que je ne connais pas. Il s’appelle Michel. Il est plutôt bel homme et sympa. Nous passons une bonne soirée à bavarder et rire. Puis, nous sortons en ville boire un verre dans un pub. Je bois trop.

Jeanne et Siméon partent et Michel me propose de me ramener. J’accepte, bien contente de ne pas devoir marcher car il est tôt le matin. Il ne prend pas la route en direction du studio que je partage avec Jeanne. Il s’arrête devant son immeuble. Je somnole un peu. « On boit un dernier verre ? » Je lui réponds que j’ai déjà beaucoup bu et que je suis fatiguée. Il insiste gentiment. Je me sens épuisée et j’accepte pour avoir la paix. Il me garantit qu’il me ramènera chez moi après. Il parque sa voiture dans son garage. Je trouve cela bizarre vu qu’il va bientôt me ramener. Dans son salon, il me laisse devant une vidéo de Prince. Lors du souper, j’avais dit que je le trouvais sexy. Il me donne un verre d’alcool que je ne touche pas. Ma tête tourne. Il est longtemps absent dans sa chambre à coucher.

Il revient et s’assied à côté de moi sur le canapé. Il me passe la main dans le dos, puis se penche vers moi et m’embrasse dans le cou. Je suis embrumée et je ne sais que faire. Il m’embrasse sur la bouche. Je le laisse faire. Il se serre contre moi, glisse ses mains sous mon pull. Pour finir, on est couchés, habillés, sur son canapé. Il m’embrasse et me caresse. Je ne ressens rien. Pas une once de désir, aucun plaisir. Ce n’est même pas agréable. Pourtant, il est beau et gentil. Mais, rien. Dans mon cerveau, des idées floues. « Bon, je ne l’ai jamais fait. C’est peut-être le moment ? Je dois être la dernière vierge de toutes les jeunes femmes que je connais. Si je le fais avec lui, ce n’est pas pire. Il est doux et gentil ». Toujours aucun désir. C’est le calme plat en moi et ça tangue autour de moi. J’ai la nausée. Je suis en train de me faire à l’idée.


« L’aimes-tu ? » Hein ? C’est quoi, cette pensée ? « L’aimes-tu ? » C’est bien une question que je viens d’entendre en moi, répétée deux fois. Je réponds intérieurement. « Non, je ne l’aime pas. C’est normal, je ne le connais pas. J’ai fait sa connaissance il y a quelques heures seulement ». « Veux-tu devenir un avec lui ? ». Cette question me déroute totalement. Je ne comprends pas du tout son sens, mais je sais que l'idée m'est insupportable. « Quoi ? Non ! C’est évident. Je ne veux pas devenir un avec lui ! Je ne le connais pas » On dirait que j’ai reçu un seau d’eau froide. Je suis désaoulée. Mais qu’est-ce que je fais là ? J’ai perdu la tête ou quoi ? Je repousse Michel. « Désolée, mais cela ne va pas aller ». « Pourquoi ? » « Je ne me sens pas bien » « Allez, ne me fais pas ça ! ». Je suis comme un roc. Je dis non et cela signifie qu’il n’en est pas question. Je suis sûre de moi et prête à me battre. Il s’énerve un peu. Je ne veux pas le blesser mais je refuse de coucher avec lui. Je lui dis calmement : « J’ai trop bu et j’ai besoin de vomir ». Il se lève, le visage crispé. « Bon, alors tu peux partir ». « Non, tu m’avais dit que tu me ramènerais. Ramène-moi ». Cela me semble logique. Il parait choqué. « Tu n’as qu’à prendre un taxi ! ». Je reste ferme. Je n’ai jamais pris de taxi et je ne sais pas comment faire. Je ne le lui explique pas mais je redis que je veux qu’il me ramène. Il obtempère de mauvaise humeur et me reconduit chez moi, fâché. Je me couche et je me dis que je fais vraiment n’importe quoi.
 
J’ai failli oublier la promesse que je m’étais faite à 15 ans. Faire l’amour par amour. De cette nuit, je me suis réveillée avec une gueule de bois mais soulagée. Cela aurait été dommage de noyer cet acte magnifique dans de l’alcool. J’ai repensé parfois à cette question « Veux-tu devenir un avec lui ? ». Elle m’intriguait. Elle me dévoilait quelque chose que je n’avais jamais vu. Faire l’amour, c’est devenir un avec l’autre. C’était fou ! Cela donnait encore plus de poids, de sens, de valeur à ces gestes. J’ai décidé à nouveau de ne faire l’amour que par amour. Et si je ne tombais amoureuse de personne, j’y renoncerai. Je resterais vierge, ce n’était pas dramatique.