Éducatrice spécialisée HES-SO, coach membre de SECA, enseignante, auteure, peintre

20. Le crible de l’Afrique

Deux jours après ce weekend, je suis partie quelques semaines en Afrique, au Burkina Faso, pour rejoindre Joëlle qui y travaillait. Je quittais, le cœur déchiré, l’homme de ma vie. Mais j’avais hâte de retrouver ma cousine-amie-complice, la fille de Marie-Claude et de Théo. Avec elle, nous avions tant vécu et partagé. Nos jeux d’enfants, des cassettes que nous nous envoyions lorsqu’elle vivait au Canada dans le creux de l’enfance, des weekends et des vacances chez elle à son retour, la cohabitation pendant nos études, des voyages en Grèce et au Portugal et même un trekking au Maroc. Avec ma sœur et ma mère, c’était la femme la plus proche, avec qui je pouvais autant parler de foi que de musique, prier ou danser en discothèque, partager sur la Bible ou sur des gars que nous avions rencontrés. Son engagement en Afrique me paraissait incroyablement courageux. Elle avait des grandes responsabilités dans un Centre de Récupération et d’Education Nutritionnelle. Elle y accueillait des bébés et des enfants gravement atteints de malnutrition, elle tentait de les garder en vie et de les remettre sur pieds. Elle enseignait aux mères l’alimentation, l’hygiène et la santé en général.
 
Au Burkina Faso, j’ai participé à une opération de vaccination contre la méningite. C’était la saison des pluies. Avec l’équipe des soignants, nous sommes partis en petit bus. Nous avons mis 2 heures et demi pour couvrir 13 kilomètres. Nous roulions dans le « Burkina profond » avec des marigots créés par l’eau de pluie. La route était de boue épaisse. Nous nous sommes remis sous la grâce de Dieu et en avant l’aventure !
 
26 juillet 1996
Embourbés, les pieds dans l’eau, les gens du CREN, le pasteur de Nobéré, les Mossis agriculteurs, les Peuls, tous poussent. Joëlle et moi sommes dans le bus. Interdiction pour les « nassaras », les blanches, de mettre les pieds dans l’eau. Cela grouille de parasites et nous risquerions d’être malades. Nous n’avons pas leur résistance. Nous arrivons enfin et nous vaccinons à la chaîne. Je prépare 350 seringues. Dans une odeur forte de lait caillé, de sueur et d’urine, parmi les hurlements des enfants et les vociférations des adultes. Et tout ce calmeen moi, pourtant.
Au retour, l’épreuve encore. Embourbés, après des gestes vains d’hommes, nous prions. Joëlle dit « Que ce bus roule, au nom de Jésus ! » et hop ! on est instantanément arraché de la boue par les anges !

 
Plus tard, nous nous sommes retrouvés totalement coincés sur un ilot herbeux. Le bus avait fait un saut au-dessus d’une flaque d’eau et atterri, le ventre sur l’ilot. Les roues tournaient dans le vide, brassant l’eau. Etrangement, alors que nous étions au milieu de nulle part, des gens arrivaient d’entre les arbres. Pour finir, ce fût une trentaine de personnes qui creusaient, le corps dans la boue, poussaient, tiraient, tapaient la terre. Ils avaient de la boue jusqu’aux oreilles. Pendant ce temps, d’autres allaient chercher des gens et leurs carnets de vaccination. Par la fenêtre, Joëlle vaccinait à tour de bras. Puis, alors que nous pensions que notre moteur était noyé et que les gens n’en pouvaient plus, le bus est sorti de l’eau !
 
Avec Joëlle, nous parlions de tout, en confiance. Je lui ai compté ma rencontre avec Fabian, ma passion pour lui. Notre discussion a abordé les relations sexuelles. Pour moi, faire l’amour avec Fabian était venu naturellement. Nous avions mélangés nos corps quelques semaines après nous être rencontrés, mais comme nous brûlions l’un pour l’autre, cela m’avait paru logique et bon. Joëlle se posait des questions sur les gestes d’amour à ne garder que pour la personne que l’on a épousée. Pour moi, devenir un avec Fabian était un acte ajusté, une impression bouleversante et éblouissante de participer au chant de la Création. Si j’aimais, ce que je faisais était juste.
 
Je suis rentrée d’Afrique malade. J’ai pensé avoir attrapé un parasite. Je me remémorais nos discussions sur l’amour, les relations sexuelles, et je soupesais ma relation avec Fabian. Il était clair que Dieu avait et conserverait la première place dans ma vie. Par contre, je ne savais plus si la manière dont je vivais mon couple était si ajustée que cela. Une petite phrase m’a traversée « Dans le doute, abstiens-toi ». Je me suis retrouvée devant un carrefour. Ou je continuais avec Fabian exactement comme c’était avant mon départ pour l’Afrique mais en demeurant dans l’incertitude, ou je respectais ces interrogations et prenais le risque de perdre Fabian. Allait-il m’aimer assez pour renoncer momentanément à faire l’amour avec moi ? Serions-nous capables d’entrer dans un autre niveau de relation ?
 
J’ai décidé d’en parler ouvertement avec Fabian. Il n’était pas croyant, dans le sens où il ne vivait rien avec Dieu. Le Seigneur, Jésus, le Saint-Esprit, la Bible étaient des notions un peu lointaines. Je savais que c’était un coup de poker où il pouvait me prendre pour une illuminée et se détourner de moi ou alors, accepter le chemin étrange que je lui proposais. Lorsqu’il est venu chez moi, après mon retour d’Afrique, j’ai pris mon courage à deux mains et je lui ai expliqué mes doutes. Je lui ai dit que Dieu aurait toujours la première place dans ma vie mais que lui aurait la deuxième. Je ne savais plus ce qui était juste aux yeux de Dieu et cela m’amenait à désirer une pause dans notre relation, une pause physique. Nous pourrions continuer de nous côtoyer, mais avoir de relations sexuelles. Était-il d’accord d’avoir la deuxième place dans ma vie ? Il m’a dit sa crainte que Dieu me demande un jour de quitter notre foyer, lui et nos enfants, comme Nicolas de Flüe. Je lui ai parlé de l’amour et la tendresse de Dieu et que je ne croyais pas du tout que cela arriverait. Fabian a réfléchi un moment puis, il a accepté. J’ai ressenti une immense joie, de la reconnaissance mais aussi beaucoup d’admiration pour un homme qui acceptait de s’engager ainsi dans l’inconnu.