Éducatrice spécialisée HES-SO, coach membre de SECA, enseignante, auteure, peintre

23. L’union

26 juillet 1997
Un enchantement !
A l’aéroport, j’apprends que je vais voyager en Business Class car l’avion en plein ! « Réjouissez-vous ! » m’a dit la femme au guichet avec un grand sourire. Business Class de Swissair !
Depuis le train, j’ai été suivie par un arc-en-ciel flamboyant. Alliance, Dieu avec moi. Et depuis, mon cœur chante, mon corps est au repos et je me sens bien. Merci Seigneur, tu ôtes les cailloux sur mon chemin et me dorlote. Je craignais les jambes gonflées et là, j’ai toute la place, tout le confort.
Je suis assise près de la fenêtre dans un immense fauteuil au dernier rang. Merveille !
Nous buvons dans des verres en verre et nous recevons un menu de fête.
… Enfin Madison. Un bel américain marche vers moi et au bout d’un moment, je reconnais Fabian. Oh tendresse, oh joie, soulagement. Que je suis bien contre lui.
 
14 août 1997
Vacances sublimes.
Retour en Suisse. Vol économique. Par « chance », un siège se libère et je peux m’étendre.
 
23 août 1997
Ça y est !
Le plus beau jour de ma vie, ou presque. Notre Rencontre est insurpassable, Seigneur.
Hier, le mariage civil. Le préposé au mariage nous a dit qu’à partir du moment où il nous déclare mari et femme au nom de la société, c’est fait, et nos signatures n’ont aucune valeur si ce n’est d’approuver le PV !
Quelque chose de solide et de profond s’est installé en moi : c’est du sérieux. J’étais toute tournée vers le mariage religieux, voyant le mariage civil comme une formalité. Eh bien, non ! Cela a son poids.
Fabian, mon mari.
Je suis arrivée à l’église. Fabian était tellement beau !
Des enfants de ma famille m’accompagnaient. Claire ravissante en robe blanche et couronne de fleurs dans les cheveux. Céline et Maude toutes colorées et Quentin en gilet.
J’ai tendu les rubans blancs à chacune des filles, pris mon bouquet et Fabian a croisés ses doigts dans les miens.
Dehors le bleu, le jaune, le chaud.
Dedans les notes de Hallel, les rubans de couleur, les ballons et tous ces gens, là, pour nous, ces chaises roulantes des enfants de la Cassagne.
Un culte-fête. Homme donne-toi, femme accepte, accueille, reçoit.
Les anneaux et enfin, la bénédiction. Sous ta main, dans ta grâce, nous voici unis.
Et nos promesses ont volés comme des alléluias. Dans le ciel comme sur terre, tous sont témoins de notre lien, notre ajustement.
La fête au refuge. Des chants, des textes, tant de façon de dire je t’aime, je vous aime.
Bouleversement lorsque Caroline, Joëlle et sa sœur Christine ont chanté. C’est vrai, Seigneur, que tu me combles, que tu es venu remplir un vide un fameux jour d’été. C’est bien ce jour-là le plus beau de ma vie, le déclencheur, le comblant.
Et aujourd’hui, tu es là, dansant en farandole, galopant avec les enfants vêtus de tissus de couleur, de foulards, en processions à travers les champs à l’orée du bois.
Christine avec sa voix un peu rauque, maman d’ambre et Nicole de cuivre ont chanté La vie en rose avec moi. Papa et François à la place de Pavarotti et Elton John (en mieux en plus !).
Marie-Claude et Théo aux petits soins, qui ont si bien pensé, décoré.
Tous ces amis !
 
10 octobre 1997
Nous avons déménagé. C’est la première fois depuis que j’ai quitté la maison de mes parents que je me sens totalement chez moi. Nous sommes dans l’appartement où il y avait ma première cellule de prière. C’est fou !
Je me sens comme au sommet. Y a-t-il plus haut sur terre ?
Fabian est merveilleux.
Avec Dieu, mon rapport est plus flou. Proche-loin.
A Notre-Dame de la Route, une toute vieille sœur a dit qu’il fallait se battre pour prier. Quel bien elle m’a fait ! Et effet, parfois je repousse ma lecture de la Bible ou raccourcis ma prière. J’ai la flemme. Et cela me fait peur.
De la savoir devoir se battre dans sa foi me réconforte. 
J’ai tellement envie de plus. Aimer Dieu et les autres, créer, écouter, exister, plus, plus.
Vais-je mourir bientôt ?
Mes enzymes musculaires ont atteint les 5000. Ils devaient se situer entre 65 et 125. Myopathie mitochondriale, peut-être. C’est grave. Mon corps est en train de se détruire. Mon sang est plein de déchets de muscles. Normalement, avec un tel taux, je ne devrais plus pouvoir me lever, ni même me coiffer. On parle de m’hospitaliser éventuellement. Pourtant, je me sens bien, physiquement forte.
Mardi, après le coup de fil du médecin, j’ai eu peur. Sursaut de révolte « Ce n’est pas juste ! »
Dans les bras de Fabian qui me dit « Je veux vieillir avec toi et avoir des enfants avec toi » j’ai senti une peine grosse et lourde monter. Et j’ai prié. Depuis, je me sens en paix, calme, bien plus que mon entourage. Les médecins et autres professeurs qui cherchent, se téléphonent, « internetisent » lisent, s’arrachent les cheveux.
Et moi, comme un ilot, comme préservée. En attente gourmande. Oui, je savoure la vie, l’amour, les autres. J’aime et je suis aimée, que vouloir de plus ?
Des bébés ? Mon ventre, mon cœur, ma tête les appellent. Et quoi ?
Et sinon ? Je n’aurai pas donnée moins d’amour. « Non à la résignation ! » dit Joëlle, fervente. D’accord, mais « Oui à une vie de qualité » et c’est ce que j’ai.
 
17 octobre 1997
Depuis que nous habitons ici, je me réveille tôt. La vie entre dans la chambre comme une vague et se met à fourmiller. Des images stimulantes, des projets, des visages aimés. La journée s’annonce tant et tant que je bondis hors du lit.
Hier Michaël a eu 25 ans. Mon cher et doux frère. Dominique a cessé de fumer et le bébé à-venir a 5 mois de vie. Michaël dit qu’il se fait de plus en plus à l’idée d’être père. Le bébé bouge. Oh, voir Michaël porter au creux de ses grands bras son enfant, le voir penché sur Dominique allaitant ! Je me réjouis.
La semaine prochaine, chez le Pr G., je serai examinée par des chirurgiens de la main (?!?). Il semble que c’est en prévision d’une biopsie musculaire.
 
23 octobre 1997
« Réjouis-toi, fille de Sion, pousse des cris de joie, Israël »
Alléluia, le Seigneur me tient dans sa main.
« Tu es le Roi de gloire, le Seigneur des seigneurs, le soleil de la justice, sous tes ailes est la guérison »
J’ai passé un beau moment en prière dans la douce lumière de Dieu.
J’ai pleuré sur Fabian, sur ses peurs, ses colères, cette angoisse que je sens pour moi.
Oh, que le Seigneur lui donne la paix, ainsi qu’à maman, papa, qu’à tous les autres.
Bien sûr, Seigneur, j’aspire à la guérison. Mais mon souci principal est qu’il y ait un sens à donner à ce que je vis. Je désire qu’il y ait des fruits.
Que tout ce qui se passe soit pour ta gloire.
C’est fou, je me sens tellement bien là où je suis, ajustée, et je me dis que ce bémol doit avoir une signification à gagner, un suc à en tirer.
Je bénis le Seigneur pour le bonheur qu’il m’offre, la plénitude aux côtés de Fabian, toute cette tendresse, cet amour. Parfois cela me dépasse.
Je me donne au Seigneur, que mon cœur, mon âme, et mon corps soient pour son honneur, son temple. Je lui remets mes muscles, mes enzymes, mon visage, ma peau, mon sang. Seigneur, prends-moi !
La mort. Je sens un chagrin profond à l’idée de ne pas pouvoir enfanter avec Fabian, de mourir bientôt.
Mais j’ai de la joie à l’idée de te retrouver en intimité. Nos retrouvailles totales seront tellement merveilleuses.
Ambigüité entre la tristesse et la hâte amoureuse.