Éducatrice spécialisée HES-SO, coach membre de SECA, enseignante, auteure, peintre

27. Partir, où ?

19 décembre 1998
Hier soir, Fabian est rentré tout enthousiaste de Zürich.
A nouveau, un mur de larmes en moi. C’est fou comme effet, comme un large robinet qui s’ouvre, comme une écluse. Je pleure en dedans, le visage impassible. Fabian ne remarque rien. « Tu verras, tout ira bien » Et moi, la boule dans la gorge et ce rejet physique en m’imaginant à Zürich.

Impossible de dormir. A 2h, je me suis levée et j’ai lu au salon le cahier du Levant « Drogue et spiritualité » où j’ai vu « Toute expérience spirituelle connaît des moments de désert, du retrait, du refus… » et puis « Et alors, tout devient possible… Ou bien nous nous intoxiquerons toujours davantage dans les drogues de la société postindustrielle, et nous deviendrons les esclaves de cette société qui se transformera en une opaque prison.
Ou bien nous maintiendrons envers et contre tout, par la prière, le monde « ouvert ». ( !) Et alors tout devient possible…
Seule la prière peut guérir en nous l’angoisse existentielle et faire jaillir les sources vives de l’être » Jean-Claude Barreau
Photo d’une source au creux de la neige. Je sens ce besoin de libérer ma source, de dégager les pierres qui l’obstruent un peu. Qu’elle soit libérée, qu’elle abonde, déborde.

Puis toujours pas fatiguée mais apaisée, j’ai commencé la Revue ACTE (Association des Cadres Témoins de l’Evangile) donnée par le père de Dieter. Il y a des textes d’Allemands ou d’Alémaniques ! Témoignages d’êtres à responsabilités élevées, en mouvement entre deux villes, entre deux pays.
Mais surtout le texte coloré de peintures d’une artiste allemande, Evita Gründer. Elle a illustré une Bible. Fragment : « De par la profession de mon mari, j’ai été contrainte de déménager souvent et dans tous ces nouveaux lieux de résidence, le pinceau fut la « planche de salut » à laquelle je m’accrochais ».
Moi, j’ai la plume. Elle a souffert de dépression et s’en est sortie en peignant ce que des textes bibliques lui inspiraient. « Comme jamais auparavant, je sentais sans cesse de nouvelles forces jaillir en moi » Puis, il y a eu la confiance.
J’ai réalisé que je n’ai jamais confié à Dieu mes difficultés avec l’allemand et la culture suisse alémanique.

Pour finir, il y avait une prière.
« La prière qui suit est destinée à vous aider à déclarer votre confiance à Dieu. Ce n’est pas la qualité de la formulation qui importe, mais la sincérité de vos dispositions intérieures.
Seigneur Jésus-Christ,
Je Te remercie d’être venu dans ce monde. Je Te remercie de m’avoir interpellé et je désire accepter Ton offre de vie nouvelle… »

Merveilleusement bien, je suis allée me suis coucher et là, dans un grand abandon, j’ai entendu « Accepte de partir à Zürich ». J’ai dit que j’étais d’accord si c’est bien Sa volonté. Qu’Il me le dise. Il m’a répondu « Non, pas si… Accepte d’y aller, c’est tout ».
Alors, maintenant, vient le moment important qui a mûri pendant tant de jours et ce matin « Seigneur, j’accepte d’aller à Zürich ».
Voilà
Maintenant, aide-moi. Seule, je n’y arriverai pas.
Je dois rajouter quelque chose d’important. « Seigneur, j’accepte de partir ».
Renoncer, lâcher, être faible.
Fabian me disait « Tu es si fragile » et je riais désespérément.
Ok, je suis fragile et m’en étonne. Comme de mes peurs, de mes difficultés, de mes liens.
 
21 décembre 1998
J’ai peur… de mourir avant d’avoir porté des fruits, trop tôt, avant d’être heureuse à Zürich. J’ai peur d’être emprisonnée par la langue et les différences et d’être malade. J’ai peur de diminuer dans un milieu hostile. J’ai peur d’être malheureuse et que cela déclenche une maladie. J’ai peur. « Aie confiance » Voilà, ça revient, comme un refrain.

Hier soir, de me sentir sans objectifs, sans but m’a dévastée. J’ai beaucoup pleuré devant un Fabian démuni. Il ne saisit pas, ne comprend pas l’ampleur de ce que je perds et le vide devant moi. A chaque projet je me dis « Si je suis encore en vie ». Je voyais devant moi : pas d’enfants, pas de travail, pas de relation d’aide, pas de Main Tendue, pas de paroisse, pas d’amis, pas de famille. Et peut-être la mort bientôt. L’horreur !

A la bibliothèque, j’ai trouvé des livres dans les deux langues et cela m’a donné un sursaut de joie, un élan comme je n’en avais plus eu depuis longtemps.
Que je sois claire. Je traverse une période dépressive. Je fais des deuils, je me prépare au déracinement, à l’arrachement dans la douleur, les larmes promptes. Je dois traverser.
Je ne perds pas confiance en Dieu, cela me semble impossible, hors de propos. Ma confiance en Lui est comme un roc. Elle est.
Par contre, je suis déstabilisée par rapport à Son projet pour moi. Obéissance, douleur.
Après mes larmes, hier, je me rinçais la figure et j’ai pensé « Il y en a un qui rigole maintenant ». L’ennemi…
Quel pied-de-nez si de l’acceptation naît la joie et, mieux, l’espérance !
Seigneur, aide-moi ! Donne-moi cette paix, cette joie et cette espérance. Tu as fait et tu fais des miracles, j’en suis témoin. Alors, retourne la situation. Que je me réjouisse d’aller à Zürich.
 
2 janvier 1999
« On ira tous au paradis ». Le 31, je me suis réveillée avec cette chanson dans ma tête. Je l’ai dit à Fabian. Plus tard, elle passait à la radio sur notre chaîne au salon. Hier, Fabian a réglé son réveil et à la radio passait cette chanson. J’aime ces petits gestes, signes d’écoute et d’attention de ta part !

Le 26 décembre fût un beau Noël en famille avec balade pour voir les fenêtres de l’Avent dans le village de Mont-la-Ville. Il y avait Reinette et toute la famille. Quelle joie !
Virées à ski de fond avec Fabian. Mouthe, Pré Poncet, la Jaique, le Grand Risoux, le chalet Gaillard., le Mollendruz. Du pur bonheur. Des champs pailletés de lumière, le silence, l’effort, la tiédeur de l’air.
Aucune faiblesse physique. Je n’ai eu aucunes courbatures.
Je vais bien. Vraiment, depuis que j’ai lâché et accepté de partir, c’est redevenu fluide. Ouf !
 
3 janvier 1999
Hier, je t’ai offert ma confiance, Seigneur. Ma confiance en Toi, la possibilité d’obéir le cœur léger. Je T’ai demandé la joie et l’espérance.

Ce matin, Guy Chautems a parlé du deuil, des deuils que nous vivons. J’ai revu mon acceptation de partir. Déni (ça n’arrivera pas), colère (et moi dans tout ça !), dépression (plus rien devant moi, plus de projet), acceptation (d’accord, mais avec Toi). Guy dit qu’Esaïe exhorte à aller plus loin, jusqu’au bout : la joie.
Je me sens dans le juste et cela me réconforte. Aller jusqu’à la joie et l’espérance, c’est entrer pleinement dans le désir de Dieu.

Dans le journal : « L’homme n’est pas un être arrêté dans sa forme naturelle, arrêté dans un destin immuable. S’il se ferme au nouveau, s’il cesse de penser, s’il renonce à savoir, ce n’est pas une harmonie stable qu’il maintient, c’est le déclin qu’il scelle. L’homme ne reste l’homme qu’en payant son tribut à l’éternel changement. Il ne peut être qu’en devenant. » Ferdinand Gonseth

Et plus loin :
« Venez plus près du bord », dit-il.
« Nous avons peur », répondirent-ils.
Ils y sont venus.
Il les a poussés.
Et ils se sont envolés.
Guillaume Apollinaire
 
8 janvier 1999
J’ai 32 ans ! Merci Seigneur d’être présent à mes côtés depuis le début. Merci que je suis encore en vie. Merci pour cette vie, pour ma vie.
Marie-Claude m’a écrit. Elle a retrouvé dans le « Rappelle-toi » de grand-maman Rita, ma naissance inscrite le 7 à 5h50, un samedi. Ce verset y était « Combats le bon combat de la foi, saisis la vie éternelle ! » 1 Tim 6 :12 et « La bataille est dure, mais le Rédempteur nous donne une armure qui rendra vainqueur ».
Et voilà ! Que dire de plus ?
J’ai réfléchi à la prière, son utilité. Je pense que, Seigneur, Tu as besoin d’elle et nous aussi. C’est par elle que je me positionne, que je formule, montre où j’en suis et ce à quoi j’aspire. Je deviens agissante, participante, interlocutrice face à Toi. Et Toi, tu as besoin d’avoir quelqu’un en face. C’est en face que j’existe.
C’est face à l’humanité que Tu existes pour elle, dans la relation.
Je Te prie, pour exister.
 
9 janvier 1999
« Nous ne sommes que des apprentis de l’amour mais nous avons le meilleur des maîtres »
 
16 janvier 1999
Dimanche passé, Thierry Juvet nous a encouragé à dire à d’autres « Dieu t’a aimé le premier ».
Je l’ai dit à F. Je l’ai encouragée à la confiance en Dieu, en son psychiatre, en l’avenir. Qu’elle ne se ronge pas avec ses soucis financiers. Juste après, dans le Lecteur biblique « Ne vous inquiétez pour votre vie… »
 
23 janvier 1999
Parfois, lorsque je regarde ma vie d’en haut, je suis presque terrassée de bonheur. Comment est-ce possible que je vive ce que je vis ? J’en reste stupéfaite et immensément reconnaissante.
 
27 janvier 1999
J’ai écrit au Dr Déonna pour qu’il ne m’oublie pas.
Au cours d’écriture de Mary Anna Barbey, j’ai été encouragée à continuer d’écrire. Mary Anna dit que j’ai un rythme, une musique personnelle et que c’est un signe.
Je me suis inscrite pour un weekend d’écriture en mars avec Michèle Ody.
Souffle, souffle le vent de la vie !
 
1er février 1999
A nouveau des larmes. Projets d’avenir qui butent contre Zürich. « Où est ma place ? » A nouveau je me sens ruer comme un cheval, renâcler. Pensée « Tu étais convaincue que c’est de Fabian que viendra la direction à prendre. Alors que fais-tu ? On dirait la femme de Loth qui regarde en arrière et reste pétrifiée. Lâche tout et marche en avant ». La paix revient.
Dimanche matin, je demande des signes d’affermissement. J’ouvre la revue Choisir et je tombe tout de suite sur le mot CONFIANCE !
Au culte, il y a une prière pour supporter les séparations et regarder devant. Puis un chant, le cantique 392 qui s’intitule en sous-titre « confiance ». Il dit que c’est dans le Seigneur que je trouve la paix et que mon avenir est dans ses mains.