7. Sur la plage
Cette alarme m’a été d’une grande aide à plusieurs moments de ma vie. C’est parce que je l’ai écoutée et que j’ai obéi à l’impulsion qu’elle m’envoyait que j’ai pu éviter des situations traumatisantes.
Mes parents nous lisaient la Bible et nous en racontaient des passages. Ils parlaient aussi des anges. Mais j’avais l’impression qu’ils parlaient d’un autre temps. Il ne me semblait y avoir aucun lien entre l’ange qui parlait à Marie et l’ange qui était entré dans ma chambre. Ni entre ce que l’ange m’avait dit et l’alarme qui m’avait fait fermer les portes. A ce moment-là de ma vie, c’était de l’ordre de l’impossible. Ce qui me paraissait cohérent, c’est que Dieu était amour. Mais les histoires de la Bible appartenaient au passé. Donc, ce qui était décrit dans la Bible ne pouvait pas se passer aujourd’hui. Sauf l’amour de Dieu.
J’ai continué de vivre avec cette foi en un Dieu d’amour, un peu lointain, mais réel. Cela m’allait bien. Une sensation agréable d’un être supérieur qui m’aimait à distance.
L’amour était la base sur laquelle on construisait les relations, selon ma mère. Lorsqu’elle me parlait de relations sexuelles, elle me disait : « L’important, c’est que tu aimes la personne avec qui tu feras l’amour ».
Un matin en arrivant à l’école, mon amie Karine m’a dit avec satisfaction : « Ça y est, je l’ai fait ! Avec Julien ». Surprise pour moi parce qu’elle ne m’avait jamais dit qu’elle avait des sentiments pour Julien. « Es-tu amoureuse de lui ? » Elle a ri. « Non, pas du tout. Mais on ne l’avait jamais fait. C’était le moment. Comme ça, c’est fait ». …. Comme ça, c’est fait ? J’ai trouvé cela bizarre. Pourquoi fallait-il le faire ainsi ? Devait-on se débarrasser de sa virginité le plus vite possible ? En tout cas, moi, je voulais autre chose. Je voulais faire l’amour pour la première fois, avec amour.
J’ai 15 ans. Je suis sur la plage avec ma sœur, au bord de la mer, un soir d’été. Nous sommes abordées par deux gars un peu plus âgés. Nous bavardons. Ils nous proposent une promenade dans les rochers. Il fait déjà un peu sombre. Comme ils sont sympas, nous acceptons. La balade dans les rochers nous éloigne de la plage et des autres gens. Puis, deux couples se forment. Enfin, disons qu’un des gars marche à mes côtés et l’autre ralentit à côté de Caroline. Je les entends discuter. Ils s’arrêtent près d’un rocher. Je continue de marcher et je finis face à la mer, au milieu de gros rochers qui nous isolent, le gars et moi. Il y a quelque chose dans l’air qui a changé. Sensation oppressante. C’est alors que l’alarme sonne en moi. « Danger ! ». Je dois partir ! Je dis au gars que je veux retourner sur la plage. Il n’insiste pas. Nous faisons demi-tour. En passant vers Caroline, je lui dis que je ne veux pas rester là, que je veux rentrer. Elle me dit qu’elle va rester un peu. « Tu ne veux pas venir avec moi ? ». « Non, non » répond-elle gentiment. Je ne sais pas quoi faire. Elle est plus âgée que moi et a plus d’expériences. Je ne me vois pas insister pour qu’elle me suive. Alors, je pars jusqu’à la plage, suivie du gars. Puis je lui dis au revoir et je retourne au camping où se trouvent nos parents. Ils sont déjà dans leur tente. Je me couche dans la tente que je partage avec Caroline. Elle arrive, bien plus tard. Le lendemain, tôt le matin, je me fais réveiller par des voix qui appellent. « Caroline, où es-tu ? ». Je regarde ma sœur qui est pâle et me dit de ne pas faire de bruit. Plus tard, elle a un comportement bizarre lorsqu’un des deux gars vient nous saluer sur la plage. Elle est froide et coupante. Je ne comprends pas pourquoi.
Bien des années après, Caroline m’a raconté que le gars, avec qui elle était restée, a abusé d’elle sur la plage.
Ce fut une gifle pour moi lorsqu’elle me l’a raconté. Une grande culpabilité m’a envahie. Si j’étais restée, si j’avais insisté… Aurais-je pu faire quelque chose qui aurait empêché cette agression ? Puis, au fil du temps, j’ai compris que j’avais fait ce que j’avais pu, dans ma position de sœur cadette, dans la situation et le moment où cela s’est passé. Je ne savais pas quel danger rôdait autour de nous et je n’imaginais pas ce qui allait arriver à ma sœur.
Après cette discussion, des tas de questions autour de l’alarme sont venues. Qu’est-ce qui m’avait alarmée ? Qu’est-ce que c’est que cette alarme ? Pourquoi l’ai-je entendue et pas ma sœur ? Quelles raisons ? Quel sens est-ce que cela a ? Y a-t-il des alarmes qui retentissent chez chacun et chacune ? Si non, pourquoi est-ce que tout le monde n’est pas alerté ? Si oui, pourquoi tous n’en prennent pas conscience ? Comment faire pour qu’on puisse entendre les alarmes et éviter les drames ? Comment aider les autres à entendre les alarmes ? Aujourd’hui encore, presque quarante ans après, je n’ai pas de réponse.
Ma sœur s’était tue pendant toutes ces années. Elle a fait comme beaucoup de personnes agressées. Elle a eu honte et a enfoui cette horreur au fond d’elle. Alors qu’elle était victime, se logeait en elle un mensonge qui prenait la forme de la culpabilité. Que faisait-elle seule sur une plage avec un inconnu, loin des regards ? N’était-ce pas un peu de sa faute ce qui lui était arrivé, une provocation de sa part ?
Je m’insurge contre ce type de raisonnement. Une jeune fille de 17 ans ne peut-elle pas rêver d’une balade romantique avec un jeune homme qu’elle vient de rencontrer ? En marchant sur le sable, n’a-t-elle pas le droit de se dire que c’est peut-être une rencontre décisive, qu’il pourrait être le prince charmant qu’elle attend ? En s’asseyant sur un rocher à côté de lui, est-ce si insensé d’espérer un partage rempli de tendresse, sous les étoiles d’une nuit d’été ? Pourquoi une jeune fille devrait voir en tout homme un ennemi potentiel ? Au nom de quoi devrait-elle craindre d’être une proie ? N’est-ce pas temps que cela change ? J’aspire de tout cœur à ce que chaque garçon soit élevé dans le respect de la femme, de ses désirs et de sa volonté. Qu’il apprenne à la regarder telle qu’elle est, digne, forte, méritant considération et égards. Qu’il la reconnaisse comme son égale, une personne à honorer.
A l’époque de la plage, je ne voyais pas de lien entre les événements qui surgissaient sur ma route. Je continuais de vivre ma fin d’adolescence sans pouvoir discerner les moments où une ombre planait sur moi. J’expérimentais des instants de grandes joies et d’émerveillement, et parallèlement, je sentais un appel sombre émerger. Je me suis mise à écouter du hard rock. Cette musique me faisait découvrir une rage nouvelle, une sorte de hargne qui me plaisait bien. J’ai regardé des films d’horreur. Rapidement, j’ai préféré les livres d’horreur. Ça faisait plus travailler mon imagination. Je refermais ces livres avec une sensation de frustration et d’impuissance. A chaque fois, l’impression d’être dans une chambre noire, enfermée à double tour. Dans ces livres enténébrés, je cherchais en vain la lumière. Je crois que je continuais à en lire dans l’espoir de trouver la réponse à ce mal. Mais j’en sortais toujours plus désespérée.
Je me posais aussi des tas de question sur la mort. La nuit, dans mon lit, deux pensées me terrifiaient autant l’une que l’autre. Le néant et l’éternité. Si j’essayais de m’imaginer qu’après la mort, il n’y avait rien, je me trouvais dans le « plus jamais ». Imaginer que je n’allais plus jamais exister m’angoissait profondément. Mais l’idée de l’éternité n’était pas mieux. Parce que je me retrouvais dans le « toujours ». Penser que j’allais toujours exister me faisait extrêmement peur.
J’avais demandé à ma mère comment elle voyait la mort. Je me souviens qu’elle m’avait parlé d’une flamme qui brûlait pour toujours. Demeurer éternellement une flamme était une représentation épouvantable pour moi ! Notre pasteur, à ma question, avait répondu quelque chose de si compliqué et traficoté à mon goût, que j’en avais déduit qu’il n’en savait pas plus que moi. Donc, la mort était effrayante, où qu'elle nous conduise.
Voici quelques clés pour les personnes qui se sentent touchées par le sujet des violences sexuelles.
Mes parents nous lisaient la Bible et nous en racontaient des passages. Ils parlaient aussi des anges. Mais j’avais l’impression qu’ils parlaient d’un autre temps. Il ne me semblait y avoir aucun lien entre l’ange qui parlait à Marie et l’ange qui était entré dans ma chambre. Ni entre ce que l’ange m’avait dit et l’alarme qui m’avait fait fermer les portes. A ce moment-là de ma vie, c’était de l’ordre de l’impossible. Ce qui me paraissait cohérent, c’est que Dieu était amour. Mais les histoires de la Bible appartenaient au passé. Donc, ce qui était décrit dans la Bible ne pouvait pas se passer aujourd’hui. Sauf l’amour de Dieu.
J’ai continué de vivre avec cette foi en un Dieu d’amour, un peu lointain, mais réel. Cela m’allait bien. Une sensation agréable d’un être supérieur qui m’aimait à distance.
L’amour était la base sur laquelle on construisait les relations, selon ma mère. Lorsqu’elle me parlait de relations sexuelles, elle me disait : « L’important, c’est que tu aimes la personne avec qui tu feras l’amour ».
Un matin en arrivant à l’école, mon amie Karine m’a dit avec satisfaction : « Ça y est, je l’ai fait ! Avec Julien ». Surprise pour moi parce qu’elle ne m’avait jamais dit qu’elle avait des sentiments pour Julien. « Es-tu amoureuse de lui ? » Elle a ri. « Non, pas du tout. Mais on ne l’avait jamais fait. C’était le moment. Comme ça, c’est fait ». …. Comme ça, c’est fait ? J’ai trouvé cela bizarre. Pourquoi fallait-il le faire ainsi ? Devait-on se débarrasser de sa virginité le plus vite possible ? En tout cas, moi, je voulais autre chose. Je voulais faire l’amour pour la première fois, avec amour.
J’ai 15 ans. Je suis sur la plage avec ma sœur, au bord de la mer, un soir d’été. Nous sommes abordées par deux gars un peu plus âgés. Nous bavardons. Ils nous proposent une promenade dans les rochers. Il fait déjà un peu sombre. Comme ils sont sympas, nous acceptons. La balade dans les rochers nous éloigne de la plage et des autres gens. Puis, deux couples se forment. Enfin, disons qu’un des gars marche à mes côtés et l’autre ralentit à côté de Caroline. Je les entends discuter. Ils s’arrêtent près d’un rocher. Je continue de marcher et je finis face à la mer, au milieu de gros rochers qui nous isolent, le gars et moi. Il y a quelque chose dans l’air qui a changé. Sensation oppressante. C’est alors que l’alarme sonne en moi. « Danger ! ». Je dois partir ! Je dis au gars que je veux retourner sur la plage. Il n’insiste pas. Nous faisons demi-tour. En passant vers Caroline, je lui dis que je ne veux pas rester là, que je veux rentrer. Elle me dit qu’elle va rester un peu. « Tu ne veux pas venir avec moi ? ». « Non, non » répond-elle gentiment. Je ne sais pas quoi faire. Elle est plus âgée que moi et a plus d’expériences. Je ne me vois pas insister pour qu’elle me suive. Alors, je pars jusqu’à la plage, suivie du gars. Puis je lui dis au revoir et je retourne au camping où se trouvent nos parents. Ils sont déjà dans leur tente. Je me couche dans la tente que je partage avec Caroline. Elle arrive, bien plus tard. Le lendemain, tôt le matin, je me fais réveiller par des voix qui appellent. « Caroline, où es-tu ? ». Je regarde ma sœur qui est pâle et me dit de ne pas faire de bruit. Plus tard, elle a un comportement bizarre lorsqu’un des deux gars vient nous saluer sur la plage. Elle est froide et coupante. Je ne comprends pas pourquoi.
Bien des années après, Caroline m’a raconté que le gars, avec qui elle était restée, a abusé d’elle sur la plage.
Ce fut une gifle pour moi lorsqu’elle me l’a raconté. Une grande culpabilité m’a envahie. Si j’étais restée, si j’avais insisté… Aurais-je pu faire quelque chose qui aurait empêché cette agression ? Puis, au fil du temps, j’ai compris que j’avais fait ce que j’avais pu, dans ma position de sœur cadette, dans la situation et le moment où cela s’est passé. Je ne savais pas quel danger rôdait autour de nous et je n’imaginais pas ce qui allait arriver à ma sœur.
Après cette discussion, des tas de questions autour de l’alarme sont venues. Qu’est-ce qui m’avait alarmée ? Qu’est-ce que c’est que cette alarme ? Pourquoi l’ai-je entendue et pas ma sœur ? Quelles raisons ? Quel sens est-ce que cela a ? Y a-t-il des alarmes qui retentissent chez chacun et chacune ? Si non, pourquoi est-ce que tout le monde n’est pas alerté ? Si oui, pourquoi tous n’en prennent pas conscience ? Comment faire pour qu’on puisse entendre les alarmes et éviter les drames ? Comment aider les autres à entendre les alarmes ? Aujourd’hui encore, presque quarante ans après, je n’ai pas de réponse.
Ma sœur s’était tue pendant toutes ces années. Elle a fait comme beaucoup de personnes agressées. Elle a eu honte et a enfoui cette horreur au fond d’elle. Alors qu’elle était victime, se logeait en elle un mensonge qui prenait la forme de la culpabilité. Que faisait-elle seule sur une plage avec un inconnu, loin des regards ? N’était-ce pas un peu de sa faute ce qui lui était arrivé, une provocation de sa part ?
Je m’insurge contre ce type de raisonnement. Une jeune fille de 17 ans ne peut-elle pas rêver d’une balade romantique avec un jeune homme qu’elle vient de rencontrer ? En marchant sur le sable, n’a-t-elle pas le droit de se dire que c’est peut-être une rencontre décisive, qu’il pourrait être le prince charmant qu’elle attend ? En s’asseyant sur un rocher à côté de lui, est-ce si insensé d’espérer un partage rempli de tendresse, sous les étoiles d’une nuit d’été ? Pourquoi une jeune fille devrait voir en tout homme un ennemi potentiel ? Au nom de quoi devrait-elle craindre d’être une proie ? N’est-ce pas temps que cela change ? J’aspire de tout cœur à ce que chaque garçon soit élevé dans le respect de la femme, de ses désirs et de sa volonté. Qu’il apprenne à la regarder telle qu’elle est, digne, forte, méritant considération et égards. Qu’il la reconnaisse comme son égale, une personne à honorer.
A l’époque de la plage, je ne voyais pas de lien entre les événements qui surgissaient sur ma route. Je continuais de vivre ma fin d’adolescence sans pouvoir discerner les moments où une ombre planait sur moi. J’expérimentais des instants de grandes joies et d’émerveillement, et parallèlement, je sentais un appel sombre émerger. Je me suis mise à écouter du hard rock. Cette musique me faisait découvrir une rage nouvelle, une sorte de hargne qui me plaisait bien. J’ai regardé des films d’horreur. Rapidement, j’ai préféré les livres d’horreur. Ça faisait plus travailler mon imagination. Je refermais ces livres avec une sensation de frustration et d’impuissance. A chaque fois, l’impression d’être dans une chambre noire, enfermée à double tour. Dans ces livres enténébrés, je cherchais en vain la lumière. Je crois que je continuais à en lire dans l’espoir de trouver la réponse à ce mal. Mais j’en sortais toujours plus désespérée.
Je me posais aussi des tas de question sur la mort. La nuit, dans mon lit, deux pensées me terrifiaient autant l’une que l’autre. Le néant et l’éternité. Si j’essayais de m’imaginer qu’après la mort, il n’y avait rien, je me trouvais dans le « plus jamais ». Imaginer que je n’allais plus jamais exister m’angoissait profondément. Mais l’idée de l’éternité n’était pas mieux. Parce que je me retrouvais dans le « toujours ». Penser que j’allais toujours exister me faisait extrêmement peur.
J’avais demandé à ma mère comment elle voyait la mort. Je me souviens qu’elle m’avait parlé d’une flamme qui brûlait pour toujours. Demeurer éternellement une flamme était une représentation épouvantable pour moi ! Notre pasteur, à ma question, avait répondu quelque chose de si compliqué et traficoté à mon goût, que j’en avais déduit qu’il n’en savait pas plus que moi. Donc, la mort était effrayante, où qu'elle nous conduise.
Voici quelques clés pour les personnes qui se sentent touchées par le sujet des violences sexuelles.