10. Accueil 24
Lorsque j’avais 23 ans, dans le cadre de ma formation d’éducatrice spécialisée, j’ai relevé un défi de taille. Avec Christian et Laurent, deux autres étudiants, nous avons mis sur pied un lieu d’accueil d’urgence pour des ados en détresse. Cela s’appelait Accueil 24, parce qu’un jeune pouvait y être accueilli à n’importe quel moment de la journée ou de la nuit. Cet endroit était destiné aux jeunes dont plus personne ne voulait, coincés dans la délinquance. Lorsque les parents, les foyers pour ados, les assistants sociaux ne savaient plus où mettre un jeune en état de rébellion, ils pouvaient se tourner vers nous. La seule contrainte était le nombre de places limité à trois. Nous n’avons accueilli que des gars, à part une fille de dix-huit ans qui a débarqué avec un passé impressionnant de souffrances dans la toxicomanie et la prostitution.
Nous logions dans un chalet isolé au milieu des bois. Le chauffage se résumait à un gros poêle en faïence dans lequel nous mettions des bûches d’un mètre de long. La nuit, nous glissions des bouillottes dans nos lits. Nous cuisinions sur un fourneau à bois et nous avions le privilège d’avoir un four à pain. C’est à un robinet d’eau froide que nous nous lavions. Une fois par semaine, nous descendions dans un foyer pour ados en ville pour nous doucher.
Notre idée était de redonner une base à ces jeunes un peu perdus. Ils devaient découvrir le sens de la vie, en quelque sorte. Chez nous, ils se retrouvaient en pleine nature, confrontés en permanence avec d’autres jeunes et des adultes, sans téléphone personnel, sans radio ni télévision, sans ordinateur ni jeux électroniques. La drogue et l’alcool étaient interdits. Il n’y avait aucun moyen de fuir, à part physiquement en quittant le chalet dont la porte et les fenêtres étaient ouvertes. Aucun n’est parti.
Chaque matin, un jeune devait se lever plus tôt pour allumer le fourneau à bois et préparer le petit déjeuner en compagnie d’un adulte. Puis, chacun venait manger pour aller ensuite travailler. Le travail consistait à couper des bûches de bois puis à les casser à la hache avant de les mettre en sac pour les vendre comme bois à brûler. Parfois, nous confectionnions aussi des miches de pain que nous avions travaillées dans un grand pétrin en bois et cuites au four à bois. Ensuite, nous les vendions sur commande.
Celui qui refusait de travailler ne recevait pas à manger. C’était donnant-donnant. Nous voulions qu’ils expérimentent le sens de se lever, de manger, de travailler. Nous imposions un rythme et nous nous attendions à ce qu’ils le suivent. J’étais surprise de voir combien ces jeunes entraient dans notre projet. Il y a eu très peu de refus et de confrontations compte tenu du genre d’ados que nous accueillions. Je crois que le fait que nous soyons si jeunes face à des ados qui avaient entre quinze et dix-huit ans jouait en notre faveur. Je les entendais dire nos âges lorsqu’ils téléphonaient à leur famille. Le téléphone se trouvait dans le couloir. C’était un gros appareil noir accroché au mur. Les jeunes avaient le droit de l’utiliser une fois par semaine et, vu son emplacement, tout ce qu’ils disaient était audible par tous.
Un autre atout, c’est que nous vivions avec eux. Nous étions sur place une centaine d’heures par semaine, toujours au minimum deux adultes. Comme eux, nous dormions dans une chambre glacée avec une bouillote et nous nous lavions aussi à l’eau froide. Je crois que c’était important pour ces jeunes de nous voir vivre dans les mêmes conditions qu’eux.
Le soir, c’était le moment des jeux de société. Au début, les jeunes fraîchement arrivés se moquaient de nos activités. Mais nous avions des jeux très intéressants. Certains jeux de stratégie duraient plusieurs heures. Il fallait anticiper, négocier, être prévoyant mais aussi audacieux. Les jeunes accrochaient très vite. C’était l’occasion de passer des soirées déroutantes, où nous buvions des tisanes et bavardions avec des jeunes qui côtoyaient normalement la drogue, l’alcool, la violence, la délinquance et parfois la prostitution. Je garde le souvenir de ces soirées comme d’un nid douillet et paisible, au coin du feu.
Parfois, pendant la journée, la tension montait entre les jeunes ou entre un jeune et un de mes deux collègues. Cela pouvait tourner en bagarre où se mêlaient le plaisir et la colère. Il fallait être prudent parce que ces jeunes ne savaient pas très bien où se situait la limite entre le jeu et la castagne. Deux s’empoignaient et cela pouvait tourner en éclats de rire ou en brutalité.
Je fais la vaisselle dans l’évier en pierre de notre petite cuisine. J’ai les mains plongées dans l’eau que nous avons chauffée sur le fourneau à bois. Je regarde par la fenêtre devant moi. Il y a un arbre généreux juste devant la maison. Puis, je sens le danger. Il y a quelque chose en train d’enfler dans l’air. Un énervement presque palpable. Alarme ! Je prie. « Mon Dieu, que faire pour les calmer ? ». Puis l’idée jaillit. « Dehors ! » Je crie : « Hé, les gars, allez dehors courir et crier autant que vous le pouvez ! ». Il y a un silence dans le chalet, puis j’entends des pas précipités dans les escaliers. Le bruit de la porte d’entrée. Un peu plus tard, au loin, des hurlements à plein poumons. Un bon moment après, nos trois gars reviennent, les joues rouges, essoufflés, le regard pétillant. Ils entrent dans la cuisine, m’entourent et me racontent comment ils ont galopé dans des champs et braillé sous le regard étonné de quelques vaches du coin. Ils rient et sont parfaitement détendus.
Je me rappelle très bien du premier soir où Max était avec nous. Max, c’était un skinhead, avec tout le look qui va avec. Le crâne rasé, bien sûr, souvent en marcel, un pantalon kaki avec des bretelles et des Doc Martens aux pieds. Il était connu de la police pour tabasser des gens dans la rue avec une batte de baseball. Il était grand et avait des yeux marron foncé. Cela renforçait encore son allure brute. A table, il avait dit : « Toutes les femmes sont des salopes, sauf ma mère et ma sœur ! ». J’avais dû répondre quelque chose comme : « Ah, bon. » ou « Si tu le dis… ». Et puis, j’avais senti son regard sur moi, au fil de la semaine. Ensuite, un soir, alors que nous étions en train de jouer, après le repas, il avait planté ses yeux sombres dans les miens et m’a demandé : « Stéphanie, je t’observe depuis que je suis arrivé. Pourquoi tu ne mens jamais ? ». Sa question m’avait étonnée. J’étais surprise que cela ait de l’importance pour lui au point de me poser cette question. J’ai réfléchi avant de répondre. « Je ne suis pas capable de mentir. Je crois que c’est parce que je suis chrétienne ». Il ne s’était pas moqué de moi. Il a hoché la tête sans dire un mot. Un jour, pourtant, j’ai risqué très gros.
Max et moi sommes seuls au chalet. Les autres gars et mon collègue sont partis faire des achats. C’est le début du printemps et un soleil doux nimbe les alentours. Nous nous tenons dehors, devant la maison. Max casse des bûches à coups de hache et moi, je les ramasse. Ensuite, je les transporte dans le bûcher, une petite cabane en bois juste à côté. J’ai déjà effectué plusieurs allers-retours. Mais cette fois-là, lorsque je dépose le bois à l’intérieur, la cabane s’obscurcit. Le bruit des coups de hache a cessé. En me retournant, je vois la silhouette de Max dans l’embrasure de la porte. Son corps cache la lumière du soleil. Il s’avance. Je me trouve près de la paroi du fond du bûcher et lui, devant la porte. Il se plante devant moi, les jambes un peu écartées et il lève la hache qu’il tient à la main. C’est une grande hache avec un manche rouge. Il maintient la lame au-dessus de son épaule gauche, les deux mains sur le manche. Il a le regard fixe. « Maintenant, tu vas faire tout ce que je veux », me dit-il d’un ton froid. Dans la même seconde, une voix résonne en moi, doucement. « N’aie pas peur. Il ne va rien t’arriver ». Instinctivement, je la crois. Et je n’ai pas peur. Il n’y a aucune alarme qui siffle en moi. Je regarde Max dans les yeux, tranquillement.
Je vois son regard changer. Il parait hésitant, confondu. Il baisse les yeux. Puis je vois la hache descendre lentement jusqu’au sol. Il est devant moi, tête basse, la hache pendante à la main. Je n’ai pas dit un mot depuis qu’il est entré. Il fait demi-tour et sort en silence. Je reste seule dans le bûcher. Dehors, des coups de hache fendent une bûche à nouveau. C’est comme si je me réveille. « Mon Dieu, que s’est-il passé ? J’aurais pu mourir ! Ou être violée ! Sans doute les deux ! Et maintenant, je fais quoi ? ». Je ressens une forte émotion entre le soulagement mais aussi la crainte de ce qui pourrait encore venir. Que faire ? J’ai une impulsion. Sortir et continuer d’agir normalement. Il faut être réaliste. Je suis seule avec un gars armé d’une hache. Me mettre à courir, m’enfuir dans les bois ou chercher à m’enfermer dans le chalet, tout cela n’a aucun sens vu la situation. Cela ne pourrait qu’attiser le feu. Max n’aurait besoin que de quelques secondes pour briser une des portes ou une des fenêtres pour entrer dans le chalet. Donc, je respire à fond et je ressors. Max me tourne le dos, cassant du bois avec vigueur. Je viens à côté de lui, je ramasse les bûches au sol et j’entre dans le bûcher. Un frisson me parcoure. Et s’il revenait dans le bûcher ? Je m’applique à bien aligner les bûches contre le mur et je ressors. Nous travaillons ainsi, sans un mot, le reste du temps. Puis les autres reviennent.
Je n’ai jamais reparlé de cela avec Max. Je crois même que je n’ai rien dit à mes collègues. J’ai décidé de continuer de vivre dans les parages de Max, sans crainte et je n’ai jamais essayé de le fuir. Nous avons parlé ensemble comme avant, comme si rien ne s’était passé. Quelques jours avant son départ, Max a déclaré pendant le repas du soir : « Toutes les femmes sont des salopes, sauf ma mère, ma sœur et les chrétiennes ». Cela m’a estomaquée. C’était un compliment important de sa part. Et juste avant de s’en aller, il m’a dit : « Si un jour, je me marie, j’aimerais que ma femme soit chrétienne ». « Pourquoi ? » ai-je demandé. « Parce que les chrétiennes ne mentent pas et qu’on peut avoir confiance en elles ». C’était un moment très doux où j’avais l’impression que Max enterrait la hache rouge devant moi. Ses paroles, c’était une façon de me dire merci. Elles demeurent en moi comme un collier de diamants. J’espère très fort, Max, que tu aies pu rencontrer une femme chrétienne de confiance. Mais plus encore, je souhaite que tu aies rencontré toi-même ce Dieu qui rendait les femmes dignes à tes yeux.
Nous logions dans un chalet isolé au milieu des bois. Le chauffage se résumait à un gros poêle en faïence dans lequel nous mettions des bûches d’un mètre de long. La nuit, nous glissions des bouillottes dans nos lits. Nous cuisinions sur un fourneau à bois et nous avions le privilège d’avoir un four à pain. C’est à un robinet d’eau froide que nous nous lavions. Une fois par semaine, nous descendions dans un foyer pour ados en ville pour nous doucher.
Notre idée était de redonner une base à ces jeunes un peu perdus. Ils devaient découvrir le sens de la vie, en quelque sorte. Chez nous, ils se retrouvaient en pleine nature, confrontés en permanence avec d’autres jeunes et des adultes, sans téléphone personnel, sans radio ni télévision, sans ordinateur ni jeux électroniques. La drogue et l’alcool étaient interdits. Il n’y avait aucun moyen de fuir, à part physiquement en quittant le chalet dont la porte et les fenêtres étaient ouvertes. Aucun n’est parti.
Chaque matin, un jeune devait se lever plus tôt pour allumer le fourneau à bois et préparer le petit déjeuner en compagnie d’un adulte. Puis, chacun venait manger pour aller ensuite travailler. Le travail consistait à couper des bûches de bois puis à les casser à la hache avant de les mettre en sac pour les vendre comme bois à brûler. Parfois, nous confectionnions aussi des miches de pain que nous avions travaillées dans un grand pétrin en bois et cuites au four à bois. Ensuite, nous les vendions sur commande.
Celui qui refusait de travailler ne recevait pas à manger. C’était donnant-donnant. Nous voulions qu’ils expérimentent le sens de se lever, de manger, de travailler. Nous imposions un rythme et nous nous attendions à ce qu’ils le suivent. J’étais surprise de voir combien ces jeunes entraient dans notre projet. Il y a eu très peu de refus et de confrontations compte tenu du genre d’ados que nous accueillions. Je crois que le fait que nous soyons si jeunes face à des ados qui avaient entre quinze et dix-huit ans jouait en notre faveur. Je les entendais dire nos âges lorsqu’ils téléphonaient à leur famille. Le téléphone se trouvait dans le couloir. C’était un gros appareil noir accroché au mur. Les jeunes avaient le droit de l’utiliser une fois par semaine et, vu son emplacement, tout ce qu’ils disaient était audible par tous.
Un autre atout, c’est que nous vivions avec eux. Nous étions sur place une centaine d’heures par semaine, toujours au minimum deux adultes. Comme eux, nous dormions dans une chambre glacée avec une bouillote et nous nous lavions aussi à l’eau froide. Je crois que c’était important pour ces jeunes de nous voir vivre dans les mêmes conditions qu’eux.
Le soir, c’était le moment des jeux de société. Au début, les jeunes fraîchement arrivés se moquaient de nos activités. Mais nous avions des jeux très intéressants. Certains jeux de stratégie duraient plusieurs heures. Il fallait anticiper, négocier, être prévoyant mais aussi audacieux. Les jeunes accrochaient très vite. C’était l’occasion de passer des soirées déroutantes, où nous buvions des tisanes et bavardions avec des jeunes qui côtoyaient normalement la drogue, l’alcool, la violence, la délinquance et parfois la prostitution. Je garde le souvenir de ces soirées comme d’un nid douillet et paisible, au coin du feu.
Parfois, pendant la journée, la tension montait entre les jeunes ou entre un jeune et un de mes deux collègues. Cela pouvait tourner en bagarre où se mêlaient le plaisir et la colère. Il fallait être prudent parce que ces jeunes ne savaient pas très bien où se situait la limite entre le jeu et la castagne. Deux s’empoignaient et cela pouvait tourner en éclats de rire ou en brutalité.
Je fais la vaisselle dans l’évier en pierre de notre petite cuisine. J’ai les mains plongées dans l’eau que nous avons chauffée sur le fourneau à bois. Je regarde par la fenêtre devant moi. Il y a un arbre généreux juste devant la maison. Puis, je sens le danger. Il y a quelque chose en train d’enfler dans l’air. Un énervement presque palpable. Alarme ! Je prie. « Mon Dieu, que faire pour les calmer ? ». Puis l’idée jaillit. « Dehors ! » Je crie : « Hé, les gars, allez dehors courir et crier autant que vous le pouvez ! ». Il y a un silence dans le chalet, puis j’entends des pas précipités dans les escaliers. Le bruit de la porte d’entrée. Un peu plus tard, au loin, des hurlements à plein poumons. Un bon moment après, nos trois gars reviennent, les joues rouges, essoufflés, le regard pétillant. Ils entrent dans la cuisine, m’entourent et me racontent comment ils ont galopé dans des champs et braillé sous le regard étonné de quelques vaches du coin. Ils rient et sont parfaitement détendus.
Je me rappelle très bien du premier soir où Max était avec nous. Max, c’était un skinhead, avec tout le look qui va avec. Le crâne rasé, bien sûr, souvent en marcel, un pantalon kaki avec des bretelles et des Doc Martens aux pieds. Il était connu de la police pour tabasser des gens dans la rue avec une batte de baseball. Il était grand et avait des yeux marron foncé. Cela renforçait encore son allure brute. A table, il avait dit : « Toutes les femmes sont des salopes, sauf ma mère et ma sœur ! ». J’avais dû répondre quelque chose comme : « Ah, bon. » ou « Si tu le dis… ». Et puis, j’avais senti son regard sur moi, au fil de la semaine. Ensuite, un soir, alors que nous étions en train de jouer, après le repas, il avait planté ses yeux sombres dans les miens et m’a demandé : « Stéphanie, je t’observe depuis que je suis arrivé. Pourquoi tu ne mens jamais ? ». Sa question m’avait étonnée. J’étais surprise que cela ait de l’importance pour lui au point de me poser cette question. J’ai réfléchi avant de répondre. « Je ne suis pas capable de mentir. Je crois que c’est parce que je suis chrétienne ». Il ne s’était pas moqué de moi. Il a hoché la tête sans dire un mot. Un jour, pourtant, j’ai risqué très gros.
Max et moi sommes seuls au chalet. Les autres gars et mon collègue sont partis faire des achats. C’est le début du printemps et un soleil doux nimbe les alentours. Nous nous tenons dehors, devant la maison. Max casse des bûches à coups de hache et moi, je les ramasse. Ensuite, je les transporte dans le bûcher, une petite cabane en bois juste à côté. J’ai déjà effectué plusieurs allers-retours. Mais cette fois-là, lorsque je dépose le bois à l’intérieur, la cabane s’obscurcit. Le bruit des coups de hache a cessé. En me retournant, je vois la silhouette de Max dans l’embrasure de la porte. Son corps cache la lumière du soleil. Il s’avance. Je me trouve près de la paroi du fond du bûcher et lui, devant la porte. Il se plante devant moi, les jambes un peu écartées et il lève la hache qu’il tient à la main. C’est une grande hache avec un manche rouge. Il maintient la lame au-dessus de son épaule gauche, les deux mains sur le manche. Il a le regard fixe. « Maintenant, tu vas faire tout ce que je veux », me dit-il d’un ton froid. Dans la même seconde, une voix résonne en moi, doucement. « N’aie pas peur. Il ne va rien t’arriver ». Instinctivement, je la crois. Et je n’ai pas peur. Il n’y a aucune alarme qui siffle en moi. Je regarde Max dans les yeux, tranquillement.
Je vois son regard changer. Il parait hésitant, confondu. Il baisse les yeux. Puis je vois la hache descendre lentement jusqu’au sol. Il est devant moi, tête basse, la hache pendante à la main. Je n’ai pas dit un mot depuis qu’il est entré. Il fait demi-tour et sort en silence. Je reste seule dans le bûcher. Dehors, des coups de hache fendent une bûche à nouveau. C’est comme si je me réveille. « Mon Dieu, que s’est-il passé ? J’aurais pu mourir ! Ou être violée ! Sans doute les deux ! Et maintenant, je fais quoi ? ». Je ressens une forte émotion entre le soulagement mais aussi la crainte de ce qui pourrait encore venir. Que faire ? J’ai une impulsion. Sortir et continuer d’agir normalement. Il faut être réaliste. Je suis seule avec un gars armé d’une hache. Me mettre à courir, m’enfuir dans les bois ou chercher à m’enfermer dans le chalet, tout cela n’a aucun sens vu la situation. Cela ne pourrait qu’attiser le feu. Max n’aurait besoin que de quelques secondes pour briser une des portes ou une des fenêtres pour entrer dans le chalet. Donc, je respire à fond et je ressors. Max me tourne le dos, cassant du bois avec vigueur. Je viens à côté de lui, je ramasse les bûches au sol et j’entre dans le bûcher. Un frisson me parcoure. Et s’il revenait dans le bûcher ? Je m’applique à bien aligner les bûches contre le mur et je ressors. Nous travaillons ainsi, sans un mot, le reste du temps. Puis les autres reviennent.
Je n’ai jamais reparlé de cela avec Max. Je crois même que je n’ai rien dit à mes collègues. J’ai décidé de continuer de vivre dans les parages de Max, sans crainte et je n’ai jamais essayé de le fuir. Nous avons parlé ensemble comme avant, comme si rien ne s’était passé. Quelques jours avant son départ, Max a déclaré pendant le repas du soir : « Toutes les femmes sont des salopes, sauf ma mère, ma sœur et les chrétiennes ». Cela m’a estomaquée. C’était un compliment important de sa part. Et juste avant de s’en aller, il m’a dit : « Si un jour, je me marie, j’aimerais que ma femme soit chrétienne ». « Pourquoi ? » ai-je demandé. « Parce que les chrétiennes ne mentent pas et qu’on peut avoir confiance en elles ». C’était un moment très doux où j’avais l’impression que Max enterrait la hache rouge devant moi. Ses paroles, c’était une façon de me dire merci. Elles demeurent en moi comme un collier de diamants. J’espère très fort, Max, que tu aies pu rencontrer une femme chrétienne de confiance. Mais plus encore, je souhaite que tu aies rencontré toi-même ce Dieu qui rendait les femmes dignes à tes yeux.