Le scénario du pire
C’était le bruit d’une porte?
Il fait nuit. Fanette se tortille pour sortir du drap qui la coince. Elle doit faire pipi.
Elle a quatre ans. Elle sait faire ça toute seule. Elle se lève. Caline, sa sœur, bouge dans son lit de l’autre côté de la chambre.
C’est allumé dans le corridor. Elle va au fond, ouvre la porte, la laisse ouverte. Après avoir tiré l’eau, elle remarque le silence. C’est allumé et c’est silencieux.
« Ils dorment ». Elle marche doucement dans le salon et guigne. Leur porte est ouverte en grand. Ça l’étonne. De loin, elle voit que le lit est vide.
« Mais… maman, papa ! ».
Elle les appelle, pas trop fort. Elle entend Caline dire : « Quoi ? ». « Mais… ils ne sont pas là ! ». Bruits de draps, Caline arrive. Elle, c’est la grande, elle a six ans.
« Tu dis quoi ? » chuchote-t-elle. « Ils ne sont pas là ». Caline part vite dans leur chambre. Elle allume. Elle regarde partout. Entre à la cuisine, va au bureau. Fanette a envie de lui dire : « Arrête, tu vois bien qu’ils ne sont pas là ». Mais elle la laisse, parce que le souffle de Caline s’accélère, parce qu’en passant elle la serre un moment dans ses bras, tout en ayant déjà un pas plus loin.
Fanette a froid aux pieds et aux épaules. Elle a les yeux qui piquent. Elle ne comprend pas. Elle quitte enfin le centre du salon et va dans sa chambre chercher ses pantoufles.
« Ils sont où ? ». Fanette sursaute en entendant la voix de sa sœur.
Caline a peur, elle l’entend. Elle a envie de lui dire qu’elle ne sait pas, qu’elle ne peut pas aider, qu’elle est petite.
Caline s’assied sur le lit. « Pourquoi ils n’ont rien dit ? », puis elle rajoute « Ils vont revenir ». Fanette s’assied à côté d’elle. Elle attend. Elles attendent. C’est long quand on ne parle pas. Fanette se lève : « Viens, on va lire un livre ». Ses yeux sont fatigués et les images ne l’intéressent pas. « Ils font long ».
Qui a dit : « Ils sont peut-être partis en voiture », « Peut-être pour longtemps », « Peut-être jusqu’à demain », « Jusqu’à toujours » ?
Qui a dit : « Peut-être qu’ils ont eu un accident », « Peut-être qu’ils ont morts » ?
Ce qui était tout engourdit en Fanette se met à bouger. Une boule piquante, glacée et écoeurante se met à grossir dans son ventre. Des limaces de froid glissent dans ses bras et ses jambes. La langue toute raide, les dents font mal. La peur la broie.
Fanette commence à pleurer la première, doucement. Sanglots qui hachent le corps. Les deux sœurs se cramponnent l’une à l’autre. Comment imaginer une vie sans eux ?
Après, Fanette ne sait plus. C’est infini.
Caline se lève. Elle entre dans la chambre des parents. De dessous le lit, elle sort la valise. Elle la tire jusque vers le lit de Fanette. « Préparons nos bagages. Quelqu’un viendra nous chercher ». Choisir son pyjama, ses culottes, ses pulls. Ce n’est pas comme pour partir en vacances. C’est avec des clignements d’yeux pour voir moins trouble et avec les mains qui tremblent.
Brosse à dents. Quoi encore ? La valise est pleine. A deux, elles l’amènent jusqu’au pied du grand lit. Elles rajoutent leurs pantoufles. Et sur le dessus, tout en haut du tas, une photo de maman et papa.
« Viens te coucher ». Fanette se glisse à côté de sa sœur. Elle est fatiguée. L’oreiller sent maman. La détresse l’accueille de ses bras glacés.
Une lumière immense. Fanette essaye d’ouvrir les yeux. Elle entend la voix de papa qui dit : « Qu’est-ce que vous faites là ? ».
Elle distingue le visage rempli d’effroi de ses jeunes parents découvrant leurs deux petites filles blotties dans leur lit, une valise à leurs pieds, attendant quelqu’un.
« La voisine était prévenue. Nous étions au cinéma… »
Deux petites heures de silence ont tricoté un chagrin d’orphelines.
Il fait nuit. Fanette se tortille pour sortir du drap qui la coince. Elle doit faire pipi.
Elle a quatre ans. Elle sait faire ça toute seule. Elle se lève. Caline, sa sœur, bouge dans son lit de l’autre côté de la chambre.
C’est allumé dans le corridor. Elle va au fond, ouvre la porte, la laisse ouverte. Après avoir tiré l’eau, elle remarque le silence. C’est allumé et c’est silencieux.
« Ils dorment ». Elle marche doucement dans le salon et guigne. Leur porte est ouverte en grand. Ça l’étonne. De loin, elle voit que le lit est vide.
« Mais… maman, papa ! ».
Elle les appelle, pas trop fort. Elle entend Caline dire : « Quoi ? ». « Mais… ils ne sont pas là ! ». Bruits de draps, Caline arrive. Elle, c’est la grande, elle a six ans.
« Tu dis quoi ? » chuchote-t-elle. « Ils ne sont pas là ». Caline part vite dans leur chambre. Elle allume. Elle regarde partout. Entre à la cuisine, va au bureau. Fanette a envie de lui dire : « Arrête, tu vois bien qu’ils ne sont pas là ». Mais elle la laisse, parce que le souffle de Caline s’accélère, parce qu’en passant elle la serre un moment dans ses bras, tout en ayant déjà un pas plus loin.
Fanette a froid aux pieds et aux épaules. Elle a les yeux qui piquent. Elle ne comprend pas. Elle quitte enfin le centre du salon et va dans sa chambre chercher ses pantoufles.
« Ils sont où ? ». Fanette sursaute en entendant la voix de sa sœur.
Caline a peur, elle l’entend. Elle a envie de lui dire qu’elle ne sait pas, qu’elle ne peut pas aider, qu’elle est petite.
Caline s’assied sur le lit. « Pourquoi ils n’ont rien dit ? », puis elle rajoute « Ils vont revenir ». Fanette s’assied à côté d’elle. Elle attend. Elles attendent. C’est long quand on ne parle pas. Fanette se lève : « Viens, on va lire un livre ». Ses yeux sont fatigués et les images ne l’intéressent pas. « Ils font long ».
Qui a dit : « Ils sont peut-être partis en voiture », « Peut-être pour longtemps », « Peut-être jusqu’à demain », « Jusqu’à toujours » ?
Qui a dit : « Peut-être qu’ils ont eu un accident », « Peut-être qu’ils ont morts » ?
Ce qui était tout engourdit en Fanette se met à bouger. Une boule piquante, glacée et écoeurante se met à grossir dans son ventre. Des limaces de froid glissent dans ses bras et ses jambes. La langue toute raide, les dents font mal. La peur la broie.
Fanette commence à pleurer la première, doucement. Sanglots qui hachent le corps. Les deux sœurs se cramponnent l’une à l’autre. Comment imaginer une vie sans eux ?
Après, Fanette ne sait plus. C’est infini.
Caline se lève. Elle entre dans la chambre des parents. De dessous le lit, elle sort la valise. Elle la tire jusque vers le lit de Fanette. « Préparons nos bagages. Quelqu’un viendra nous chercher ». Choisir son pyjama, ses culottes, ses pulls. Ce n’est pas comme pour partir en vacances. C’est avec des clignements d’yeux pour voir moins trouble et avec les mains qui tremblent.
Brosse à dents. Quoi encore ? La valise est pleine. A deux, elles l’amènent jusqu’au pied du grand lit. Elles rajoutent leurs pantoufles. Et sur le dessus, tout en haut du tas, une photo de maman et papa.
« Viens te coucher ». Fanette se glisse à côté de sa sœur. Elle est fatiguée. L’oreiller sent maman. La détresse l’accueille de ses bras glacés.
Une lumière immense. Fanette essaye d’ouvrir les yeux. Elle entend la voix de papa qui dit : « Qu’est-ce que vous faites là ? ».
Elle distingue le visage rempli d’effroi de ses jeunes parents découvrant leurs deux petites filles blotties dans leur lit, une valise à leurs pieds, attendant quelqu’un.
« La voisine était prévenue. Nous étions au cinéma… »
Deux petites heures de silence ont tricoté un chagrin d’orphelines.